POUR UNE VÉRITABLE ET AUTHENTIQUE TRANSFORMATION
« “Que votre amour sois sans hypocrisie. Fuyez le mal en horreur, attachez-vous fortement au bien » (Rm 12,9)
MESSAGE DE LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DE MADAGASCAR
Aux fidèles chrétiens catholiques,
Aux responsables et dirigeants de la nation, Aux jeunes Malgaches sans distinction,
À tous nos compatriotes,
Et à toutes les personnes de bonne volonté, Que la paix soit avec vous !
Nous, évêques de Madagascar, vos Pères et Pasteurs, nous nous sommes réunis ici à Antananarivo, comme chaque année, du 4 au 14 novembre 2025, et nous adressons à vous tous, chers filles et fils, le message suivant :
1. Nous vivons toujours dans l’Année jubilaire de l’Espérance ; de nombreux efforts ont été réalisés dans plusieurs diocèses. La prière, les pèlerinages et les démarches de conversion ont particulièrement marqué cette année. Un moment fort de notre vie de foi fut la consécration de Madagascar au Sacré-Cœur de Jésus (le 18 mai 2025). Les Journées nationales des adultes, organisées à Morondava du 28 au 31 août 2025, se sont bien déroulées. Des journées de la jeunesse ont également eu lieu dans plusieurs diocèses. C’est toujours une joie pour nous d’accueillir de nouveaux pasteurs au sein de l’Église catholique : Mgr Marek Ochlak a été installé évêque de Fenoarivo Atsinanana après avoir été ordonné en Pologne, son pays natal. Mgr Mamiarisoa Modeste Randrianifahanana a été nommé et ordonné évêque auxiliaire d’Antananarivo. Tout récemment, le Pape a nommé Mgr Jean Nicolas Rakotojaona archevêque coadjuteur de Fianarantsoa, appelé à en devenir le futur archevêque. Un événement historique pour notre Église fut aussi la publication de la nouvelle traduction de la Bible catholique malgache (BMK), le 9 novembre 2025. Cette traduction a pour but de nous aider à mieux comprendre le Message de Dieu. Nous vous encourageons donc à lire et à vivre constamment de la Parole de Dieu. Rendons grâce au Seigneur et confions-Lui toujours la vie de l’Église à Madagascar.
2. Sur le plan national, nous avons tous vécu les changements survenus à la suite du mouvement populaire mené par les jeunes, qui a abouti à la mise en place de l’actuel Gouvernement pour la Refondation de la République de Madagascar. C’est précisément dans ce contexte que nous vous adressons le présent message.
La coupe était pleine, le peuple a explosé
3. En tant que Pères et Pasteurs, nous ne pouvons pas garder le silence devant la crise politique que notre pays vient de traverser et que nous vivons encore actuellement. La population malgache n’a plus supporté
la souffrance causée par le manque d’eau, les coupures fréquentes d’électricité, besoins fondamentaux s’il en est, ce qui a conduit aux manifestations de rue. À cela se sont ajoutés la corruption sans fin, les abus de pouvoir, l’incompétence dans la gestion publique de la part des dirigeants à qui le peuple avait accordé sa confiance pour le servir et le protéger. Les jeunes ont joué un rôle majeur dans ces mouvements. La répression exercée par les forces de l’ordre n’a pas suffi à arrêter leur lutte. Il y a eu des blessés, des morts, et des biens détruits. Tout cela a amené les militaires du CAPSAT à intervenir. Ils sont venus protéger la population, et qui ont alors pris le pouvoir. Nous portons dans nos prières ceux qui ont perdu la vie ainsi que leurs familles, et nous soutenons ceux qui se soignent encore en traitement ou en train de réparer les pertes subies.
4. Ces événements montrent clairement que le peuple malagasy, meurtri et fatigué, aspire à un véritable changement dans le pays et dans la gouvernance. Ce qu’il attend, c’est une politique sociale et publique orientée vers le bien commun et le développement durable, et non une politique dévoyée où les dirigeants ne recherchent que leurs intérêts personnels et ceux de leurs alliés. À peine la manifestation organisée par les jeunes avait-elle commencé que nous, les Évêques de Madagascar, avons publié une déclaration le 26 septembre 2025, rappelant ce que nous avions déjà dénoncé par le passé à propos des maux qui rongent la nation1. Ces causes profondes ont été mises en lumière par les jeunes sur les places publiques, soutenus par leurs compagnons de lutte
Nécessité de changer radicalement la manière de faire de la politique
5. Le changement était la véritable attente et la revendication du peuple. Cependant, une inquiétude se fait déjà sentir : celle de voir le processus actuel s’écarter des aspirations profondes des jeunes et du peuple. Beaucoup redoutent le retour des anciennes pratiques et des anciens acteurs qui ont plongé la vie nationale dans la crise, surtout sur les plans politique et économique. Nous sommes également préoccupés par la présence de personnes payées pour piéger ou saboter le changement tant espéré, en semant le désordre dans la société. Soyons donc vigilants. Nous rappelons sans cesse aux dirigeants de placer au centre de leurs priorités les réformes réclamées par le peuple. Les mauvaises pratiques qui ont conduit le pays à l’effondrement et à la pauvreté extrême que nous connaissons aujourd’hui doivent être éradiquées. C’est la souffrance du peuple qu’il faut regarder en premier lieu, non les intérêts d’une minorité. Ainsi, le peuple malgache ne doit plus être comme un propriétaire mendiant sa part, mais enfin il doit bénéficier d’un véritable développement, juste et durable.
6. La force et la détermination des jeunes, leur patriotisme se sont manifestés clairement à travers leurs revendications. Toutefois il ne faut pas oublier les valeurs fondamentales malagasy dans la manière d’exprimer ces revendications (au niveau du langage, des gestes et des attitudes) notamment le respect des aînés et des responsables. Il faut aussi reconnaître que la mise en œuvre des changements réclamés et des promesses faites nécessite du temps. Il faut une décision ferme de rompre avec les anciennes mauvaises habitudes. Cela ne concerne pas seulement les jeunes, mais tous les citoyens. Nous réaffirmons que la violence et la vengeance, sous quelque forme que ce soit, ne peuvent jamais conduire au développement, ni apporter la paix et la stabilité. La voie à suivre est celle de la réconciliation, de la communion, de la vérité et de la miséricorde. Car rendre justice pour des crimes commis, des vols ou des actes de corruption quelle qu’en soit la forme ne doit en aucun cas être confondu avec un esprit de vengeance politique.
À vous, responsables et acteurs politiques,
7. Face à cette nouvelle étape cruciale que traverse notre pays, nous voulons vous rappeler, comme nous l’avons toujours fait, que Madagascar a besoin d’un projet de développement clair, durable et efficace, voire immédiatement applicable. C’est la manière même de faire de la politique qui doit être profondément transformée et revue : elle doit être toujours un service pour le peuple, orienté vers la recherche du bien commun, surtout en ces temps difficiles, selon le vrai sens du mot politique2. La concertation nationale inclusive, partant de la base, est nécessaire pour avancer dans cette direction, afin de préparer un État stable et solide. Les priorités urgentes du peuple doivent être mises au premier plan, en distinguant ce qui relève du court terme et du long terme. Que soient respectées les deux années prévues pour la période de transition. Une des grandes faiblesses du développement de Madagascar jusqu’ici a été le manque d’écoute mutuelle et de confiance réciproque. Soyons conscients de ce fait.
8. Partant des revendications du peuple, c’est sur les besoins essentiels que nous vous attendons, dirigeants : l’électricité, l’eau, les routes et l’éducation. De plus, les priorités des nouveaux dirigeants doivent être un service de santé accessible à tous, la sécurité générale pour protéger la population contre les bandits, l’entretien et la construction des routes nationales, régionales et communales, afin de permettre aux agriculteurs d’acheminer leurs produits vers les grandes villes, et d’assurer, en sens inverse, la disponibilité des produits de première nécessité (PPN) dans toutes les localités. La politique d’austérité prônée par le nouveau régime doit être effectivement mise en œuvre. Pour cela, les nouveaux dirigeants doivent donner des exemples concrets et tangibles : les privilèges particuliers tels que les allocations de carburant et les indemnités exorbitantes, dont bénéficiaient les agents de l’ancien régime, doivent cesser immédiatement. Ainsi, le peuple malgache pourra enfin se libérer de l’extrême misère qui lui est imposée depuis trop longtemps.
9. Nous prions sans cesse pour vous, dirigeants, selon la recommandation de l’Écriture Sainte (cf. 1 Tm 2,2). Ce dont notre époque a besoin, ce sont des dirigeants ayant un cœur de parents (Rayamandreny), craignant Dieu, compatissants à la souffrance des Malagasy et animés d’un amour sincère pour lui. C’est ainsi qu’ils pourront donner le meilleur d’eux-mêmes à la nation, selon la parole de Jésus : “Si donc vous, qui êtes mauvais, savez donner de bonnes choses à vos enfants…” (Lc 11,13). Le peuple avide d’une véritable refondation attend des responsables courageux et intègres, capables d’être bien fermes dans la vérité, même face à leur entourage. Des dirigeants capables de partager les responsabilités et le pouvoir, de faire confiance à leurs collaborateurs, et de veiller équitablement sur toutes les régions du pays. Jamais un pays n’a prospéré lorsque le pouvoir et les compétences sont concentrés entre les mains de quelques- uns ou dans les seules grandes villes. Les responsables sont appelés à gérer avec justice les richesses nationales pour le bien du peuple, et non à les exploiter pour leur profit personnel. Que soient démantelés les réseaux qui considèrent Madagascar comme leur propriété privée : “Le peuple n’est pas dupe ; ce qui dure finit toujours par apparaître au grand jour.”
10. Nous lançons enfin un appel pressant à vous, hommes et femmes politiques : Que cesse la politique qui détruit la nation ! Mettez fin à la politique de pillage et de recherche du pouvoir pour le pouvoir, ainsi qu’à la convoitise des richesses nationales. Ne manipulez pas la ferveur et la volonté de renouveau des jeunes et du peuple, désireux de reconstruire leur histoire.
Comme le dit l’Écriture : “Ayez le mal en horreur, attachez-vous au bien.” (Rm 12,9). C’est le devoir des responsables de l’État de garder vivante l’espérance dans le cœur des jeunes, par une éducation et des programmes d’enseignement honnêtes, désintéressés loin de tous pièges. Il vous revient également de créer, de promouvoir des emplois et des projets qui garantissent leur avenir. Tous les acteurs au sein de l’éducation du pays sont invités à collaborer à cet effort : Église, écoles, associations, artistes, journalistes, et autres acteurs de la société.
Pour nous, le peuple,
11. Le peuple aussi doit changer de mentalité et se convertir. Il n’est pas juste de toujours tout attendre des dirigeants et des responsables ; certaines choses dépendent de nous et sont à notre portée. Chacun doit reconnaître et accomplir ce qui lui revient, pour la défense du bien commun. L’éradication de la corruption, devenue un véritable mode de vie contraire à la voix de la conscience et qui la tue, est une tâche à laquelle tous doivent contribuer ensemble. Nous devons avoir le courage d’être fermes contre ce fléau, surtout nous qui avons reçu diverses formes d’éducation religieuse. Que ceux qui se prononcent disciples du Christ, « Chemin, Vérité et Vie » (Jn 14,6), soient en première ligne dans ce combat. Rappelons- nous toujours la parole de Jésus : « La vérité vous rendra libres » (Jn 8,32) ; ne nous laissons donc pas manipuler, sous quelque forme que ce soit.
Chers jeunes,
12. Madagascar compte toujours sur vous pour la profonde refondation à laquelle il aspire ardemment. Malgré vos craintes et vos inquiétudes quant à l’avenir, malgré le regard souvent négatif que la société porte sur vous, vos engagements pour la nation ont suscité une vision nouvelle. Nous y voyons confiance et espérance, depuis le grand mouvement populaire que vous avez su mener. Tenez bon, et restez debout bien unis jusqu’au bout. C’est sur vous que repose l’espérance d’une vie nouvelle pour la société et pour la nation, selon ce que vous avez déjà commencé. Beaucoup de vos aînés se sont malheureusement égarés sur les chemins d’une politique et d’une économie qui ne visent pas le bien du peuple, conduisant ainsi le pays à sa ruine actuelle. Votre regard neuf peut apporter un souffle nouveau à Madagascar. Ne soyez toutefois pas trop sûrs de vous-mêmes, mais acceptez d’être des jeunes humbles qui ont besoin d’accompagnement et de guides dans leur marche dans la vie. Vous êtes l’avenir de la nation : ne vous laissez pas corrompre ; apprenez à discerner le vrai du faux. Sachez tirer des leçons de la vie et fixez-vous des objectifs clairs pour orienter votre chemin, tant dans votre vie personnelle que dans votre engagement collectif. Vous êtes instruits et pleins de bonne volonté ; mais c’est le cœur de l’homme qui révèle sa véritable sagesse : « L’homme bon tire le bien du trésor de son cœur » (Lc 6,45)3.
Notre espérance n’est jamais vaine
13. Telle est la conviction que nous laisse cette Année jubilaire à nous, Pèlerins de l’espérance. Même si ce que nous endurons en famille ou au sein de la nation est difficile, même si le véritable changement que nous espérons demande du temps, de la persévérance et de la patience, nous restons un peuple d’espérance. Cette espérance nous pousse à tenir debout et à prendre nos responsabilités, animés par la confiance en Celui qui est la source de toute espérance chrétienne : Jésus Christ, mort et ressuscité vivant éternellement, qui nous ouvre toujours des chemins neufs. Ainsi, « réjouissez vous dans l’espérance, soyez patients dans la détresse, persévérants dans la prière » (Rm 12,12).7.
14. Nous prions spécialement pour vous, les jeunes, à l’approche de la célébration de la 40ème Journée mondiale de la Jeunesse, qui aura lieu en la solennité du Christ Roi de l’univers. Par la voix du pape Léon XIV, l’Église vous envoie à nouveau en mission, avec ce thème : « Et vous aussi, vous témoignerez de moi, parce que vous êtes avec moi depuis le commencement » (Jn 15,27). Nous nous préparons déjà aux JMJ MADA XI qui aura lieu à Toamasina en 2026. Il s’agit d’une grande opportunité pour l’Eglise d’accompagner et d’éduquer la jeunesse tout en renforçant sa communion et sa solidarité.
15. Unissons et élevons ensemble notre prière pour Madagascar, notre patrie, avec la Vierge Marie, Notre Dame de Madagascar, saint Joseph, Saint Patron de l’Église Universelle, et les saints et bienheureux malagasy. Avec eux, nous continuons à confier Madagascar au Cœur Sacré de Jésus, gage d’espérance pour nous. Que le chemin de refondation que nous entreprenons ensemble comme une seule famille ne s’écarte jamais de la volonté de Dieu.
1 Cf. Message de la CEM du 26/09/2025: « Notre pays est véritablement malade. À plusieurs reprises et de différentes manières, nous, les évêques, avons parlé des maux dont le peuple malgache est victime » — un rappel de l’alerte déjà lancée dans notre Message de 2023-2024.
La Commission épiscopale Justice et Paix de la CEM a également souligné à plusieurs reprises que le pays est malade (cf. Message du 29/08/2025).
2 Cf. FRANÇOIS, Fratelli tutti, n°176 ; CEM, Les douleurs des Malgaches brisent le cœur de Jésus, 15.11.2024, n° 05
3 Cf. FRANÇOIS, Dilexit nos, lah.11. 29
Nous, vos Raiamandreny Evêques, prions pour vous et vous bénissons.
Fait à Antananarivo, le 11 novembre 2025
Mémoire de St Martin de Tours Les Évêques de Madagascar
S.E. Mgr Marie Fabien Samuelin RAHARILAMBONIAINA, Evêque de Morondava, Président de la Conférence Episcopale de Madagascar
S.E. Mgr Jean Pascal ANDRIANTSOAVINA, Evêque d’Antsirabe, Vice Président
S.E. Mgr Jean Claude RAKOTOARISOA, Evêque de Miarinarivo, Secrétaire Général
S.E. Le Cardinal Désiré TSARAHAZANA, Archevêque de Toamasina
S.E. Mgr Filgence RABEMAHAFALY, Archevêque de Fianarantsoa
S.E. Mgr Nicolas RAKOTOJAONA, Archevêque Coadjuteur de Fianarantsoa
S.E. Mgr Jean de Dieu RAOELISON, Archevêque d’Antananarivo
S.E. Mgr Benjamin Marc RAMAROSON, Archevêque d’Antsiranana
S.E. Mgr Gustavo BOMBIN ESPINO, Archevêque de Tuléar
S.E. Mgr Gabriel RANDRIANANTENAINA, Evêque de Tsiroanomandidy
S.E. Mgr Georges Varkey PUTHIYAKULANGARA, Evêque de Port-Bergé
S.E. Mgr Marcellin RANDRIAMAMONJY, Evêque de Farafangana
S.E. Mgr Herivonjilalaina Orthasie Marcellin, Evêque d’Ambatondrazaka
S.E. Mgr Marek OCHLAK, Évêque de Fénérive Est
S.E. Mgr Rosario VELLA, Evêque de Moramanga
S.E. Mgr Jean Désiré RAZAFINIRINA, Évêque de Morombe
S.E. Mgr Clément Herizo RAKOTOASIMBOLA, Evêque de Maintirano
S.E. Mgr Fidelis RAKOTONARIVO, Evêque d’Ambositra
S.E. Mgr José Alfredo CAIRES DE NOBREGA, Evêque de Mananjary
S.E. Mgr Fulgence RAZAKARIVONY, Evêque d’Ihosy
S.E. Mgr Zygmunt ROBASZKIEWICZ, Evêque de Mahajanga
S.E. Mgr Donatien Francis RANDRIAMALALA, Évêque d’Ambanja
S.E. Mgr Luc Olivier RAZAFITSIMIALONA, Évêque de Tolagnaro
S.E. Mgr Mamiarisoa Modeste RANDRIANIFAHANANA
S.E.. Mgr Vincent RAKOTOZAFY, Evêque Émerite de Tolagnaro
S.E. Mgr Raymond RAZAKARIVONY, Evêque Emérite de Miarinarivo
S.E. Mgr Odon Marie Arsène RAZANAKKOLONA, Archevêque Émerite d’Antananarivo
S.E. Mgr Fulgence RABEONY, Archevêque Émerite de Toliary
S.E. Mgr Gaetano DI PIERRO, Evêque Émerite de Farafangana
S.E. Mgr Michel MALO, Evêque Emérite d’Antsiranana
S.E. Mgr Armand TOASY, Evêque Emérite de Port-Bergé