Donc, tout ce que vous voudriez que les autres fassent pour vous, faites-le pour eux, vous aussi (Mt 7, 12)
Samedi 27 juillet 2024

Eglise catholique à Madagascar

Site officiel de la Conférence Episcopale de Madagascar

Message de la CEM - Mai 2024



« LE FRUIT DE LA LUMIÈRE CONSISTE EN TOUTE SORTE DE BONTÉ, DE JUSTICE ET DE VÉRITÉ » (Eph 5,9)

Chers Compatriotes,

« La paix soit avec vous ! »

01. C’est avec cette paix souhaitée par Jésus ressuscité à ses disciples que nous, Evêques vos Raiamandreny, nous vous saluons en vous transmettant ce message. Nous ne nous lassons pas d’encourager et de transformer en intention de prière la vie des Malgaches que Dieu a voulu former en une seule famille cheminant ensemble au sein de notre chère patrie.

JOIES ET ESPOIRS

02. Nous ne pouvons que rendre grâce à Dieu pour tant de grâces reçues aussi bien au sein de l’Eglise qu’au sein de la Nation. Concernant la vie de l’Eglise, les différentes nominations d’évêques nous ont unis dans la joie, il s’agit de Mgr Luc Olivier Razafitsimialona pour le diocèse de Tolagnaro, Mgr Jean Désiré Razafinirina pour celui de Morombe, Mgr Jean Claude Rakotoarisoa pour Miarinarivo et Mgr Clément Herizo Rakotoasimbola pour Maintirano. Le Pape François a dédié cette année 2024 « Année de la prière », et nous la marquons par des réflexions et manifestations en divers niveaux, parmi cela notamment le Congrès eucharistique national qui se tiendra à Antsiranana du 23 au 25 août 2024. Le thème en est « Le Fihavanana guérira le monde. Vous êtes tous frères ». Cela réveille en nous l’importance de la prière, surtout de l’Eucharistie qui est « source et sommet de la vie chrétienne »1 – catholique, et la grandeur du fihavanana, cette valeur qui identifie les Malgaches. Cette année de la prière nous introduit au jubilé du 2025ème anniversaire de l’incarnation de Jésus, se faisant homme comme nous. L’année jubilaire a comme thème : « Pèlerin de l’espérance ». En effet, Le Fils de Dieu qui est venu auprès de nous ne cesse de raviver et renouveler l’espérance qui est en nous, au milieu des tribulations et de la dureté de la vie que subissent aussi bien les Malgaches que les innombrables fils de Dieu. Il partage nos joies et nos peines au sein de l’Eglise synodale qui nous pousse à collaborer et à affronter ensemble la réalité.

03. En ce qui est de la vie nationale, plus d’un notent que la construction des infrastructures dans diverses régions continue ; la solidarité et l’entraide entre les Malgaches durant les cataclysmes naturels qui ont ravagé les régions existent ; l’Etat s’engage d’ailleurs, selon ses possibilités, à fournir de l’aide et à réparer rapidement les dégâts pour que la vie de la nation reprenne. D’une part, nous portons ces phénomènes dans nos cœurs et tenons à réconforter et prier pour les victimes. Il est pourtant triste de constater ceux qui agissent selon leur propre intérêt seulement et gèrent de manière malhonnête l’aide aux sinistrés. D’autre part, il faut reconnaître que ce qui se fait pour protéger la Maison commune est remarquable, surtout en matière de reboisement. Des initiatives privées ne se contentent pas de reboiser, mais se prolongent par des suivies systématiques.

OMBRES DANS LA VIE NATIONALE

4. Récemment, le 11 avril 2024, la Commission épiscopale « Justice et paix » a publié un message dont le but est d’analyser et de proposer des solutions pour faire sortir le pays du marasme. Le titre du message est: « Jésus est notre "Fihavanana", et "Fihavanana" pour guérir le monde...car nous sommes tous frères ». Nous vous exhortons à la lecture et à la réflexion de ce texte et pourquoi pas à plusieurs reprises. Et nous, membres de la Conférence épiscopale, avons déjà transmis et transmettrons toujours d’autres messages. Mais en même temps nous nous posons la question : quelles sont les impacts de tous ces messages successifs pour les dirigeants, pour le peuple et en particulier pour les chrétiens ? Comment faire pour transformer ces messages en une contribution concrète à un développement vrai et durable à Madagascar, notre cher pays ? Combien sont-ils ceux qui ont conscience que ces messages leur sont destinés ?

5. Nous, Evêques, nous ne nous arrêterons pas de parler ; nous ne cesserons pas de rappeler, car c’est notre devoir envers la nation. De plus, la sagesse de nos ancêtres, selon l’adage « là où se trouvent des personnes âgées, les enfants ne se querellent pas » (« Ny tany misy olobe, tsy miady zaza »), nous encourage à le faire. Comme nous le constatons tous, nous insistons sur le fait qu’un petit nombre de la population est nanti, disposant d’argent et de richesses d’origine suspecte, devient encore de plus en plus riche et par contre ne cesse d’augmenter, un grand nombre s’enfonçant dans une paupérisation criante. Le coût de la vie augmente d’une façon exponentielle. L’insécurité est encore bien présente dans beaucoup de régions. Nombreuses sont les routes nationales qui continuent de se dégrader et manquent d’entretiens. Le pillage des richesses nationales, aussi bien au niveau de l’exploitation qu’au niveau de l’exportation persiste. La liberté d’expression et l’écoute mutuelle sont inexistantes. La production, le trafic et la consommation de drogues se développent d’une façon démesurée. Pour ce qui est de la JIRAMA, au fur à mesure que les plaintes des usagers et de la population conjuguées avec les promesses des dirigeants se multiplient, la situation semble s’embourber encore plus.

CAUSES PREMIERES FONDAMENTALES

06. Nous réaffirmons que la corruption est une des causes premières qui appauvrissent Madagascar. Pourtant cette maladie s’aggrave encore de plus en plus chez nous. La corruption commence depuis les instances les proches du peuple jusqu’aux instances 

supérieures. Il y a souvent des hautes personnalités et des riches qui en sont d’incontournables commanditaires. Presque tous les secteurs de la vie nationale sont gangrenés et assujettis à la corruption, voire au sein de l’Eglise même. Des institutions pour lutter contre la corruption ont été érigées mais plus d’un se demandent à quoi servent- elles et sont-elles destinées pour qui ? Maintenant rien n’est possible sans la corruption ou sans le pot-de-vin. Devant la corruption, la loi est inexistante, invisible. Elle est devenue un système qui gère la vie quotidienne. Et ceux qui veulent dénoncer ou résister paient, subissent des pressions, des menaces, des arrestations, des montages de dossiers en vue d’un procès … des tentatives d’élimination physique sont même à craindre. Ce qui fait baisser les bras aux hommes et femmes de bonne volonté. Par conséquent, l’illégalité gagne du terrain alors qu’on prône toujours l’Etat de droit.2

07. Une autre entrave au développement est la non existence effective de la décentralisation authentique. La prise d’initiatives, l’organigramme des projets et des stratégies restent aux mains du pouvoir central. Les collectivités locales n’ont qu’à suivre l’ordre et l’organisation de ce dernier. Ainsi est née la mentalité de l’attentisme de la part de l’Etat malgré la compétence locale qui pourrait accomplir le projet. D’ailleurs, l’écoute mutuelle, fait défaut. Ainsi ceux qui sont considérés comme opposants ou préjugés comme tels ne sont pas reçus, bien qu’ils puissent proposer des idées pour le bien du peuple. Le plan stratégique bien précis et qui met en relief les priorités pour le peuple n’existe pas. La plupart des infrastructures édifiées ne répondent pas aux véritables priorités, ou auraient pu être édifiées en brousse pour faire bénéficier ceux qui n’ont aucune installation. La priorité pour le peuple est qu’il y ait à manger et à se vêtir, la scolarité pour ses enfants et enfin la possibilité de se faire soigner, l’électricité et l’eau, du travail pour survivre….Voilà ce que le peuple attend du gouvernement et qu’il en fasse priorité. Madagascar a besoin de dirigeants qui connaissent et acceptent de se pencher sur les besoins du peuple selon leurs priorités. Ces priorités ne doivent pas être des fonds de discours pendant la campagne électorale mais doivent être bien visibles pendant le mandat.

08. Un sujet ardent toujours à débattre est la question de l’environnement. Le peuple, comme les dirigeants, doivent l’admettre comme priorité. Les infrastructures édifiées un peu partout doivent respecter la beauté de la nature qui demande à être soignée. Le changement climatique a son impact sur le calendrier cultural et la récolte, selon l’interpellation de la Commission Justice et Paix3, de même que la santé et les activités humaines. Une des causes principales de la dégradation de l’environnement est la non application des lois. Cette non application des lois corrompt effectivement plusieurs domaines de la vie nationale.

DROITS ET DIGNITE HUMAINES

09. Nous saisissons cette occasion pour expliquer la position de l’Eglise catholique sur deux phénomènes qui sont objets de discussion ces derniers temps. Il s’agit de la loi de la castration pour les violeurs et l’incitation à la régulation des naissances à Madagascar.

A propos de la loi qui sanctionne ceux qui ont commis un acte de viol par la castration : il est évident que le viol ou l’abus d’un autre ordre est un acte criminel ; l’Eglise le condamne fermement. Elle est en communion et en compassion avec les victimes, elle les réconforte ; et exige même qu’il y ait une prise en charge pour elles. Si la loi qui est en vigueur est appliquée comme elle se doit, nous ne serions pas arrivés à cette étrange loi. Est-ce par cette loi que nous pourrions vraiment éradiquer le viol ? Aussi bien l’enseignement de l’Eglise, que la déclaration universelle des droits de l’homme, que la loi fondamentale en vigueur à Madagascar, parlent d’une même voix pour affirmer que la torture va contre la dignité de l’homme. Le corps humain est tellement sacré en tant qu’œuvre de Dieu et racheté par le Christ, que nul n’a aucun pouvoir sur lui, même pas la loi.4 L’homme qui édicte la loi portant atteinte au corps humain prétend prendre la place de Dieu. Mais « un être humain qui prétend prendre la place de Dieu devient le pire danger pour lui-même »5, et surtout pour toute la nation.

10. Nous voudrions aussi dire quelques mots sur la régulation des naissances qui est au programme actuel de l’Etat, voire une priorité. Décider de procréer relève du choix et de la volonté libres des époux, et l’enfant qui en provient est de leur propre responsabilité. C’est le planning familial naturel qui s’accorde à l’enseignement de l’Eglise catholique, en tant qu’il respecte la dignité humaine. L’Eglise encourage la formation et l’éducation.6 La parole du Pape François nous interpelle : « Dans une tentative de simplifier la réalité, certains attribuent la responsabilité aux pauvres parce qu’ils ont beaucoup d’enfants, et ils cherchent même à résoudre le problème en mutilant les femmes des pays moins développés. Comme toujours, il semblerait que ce soit la faute des pauvres. Mais la réalité est qu’un faible pourcentage des plus riches de la planète pollue plus que les 50% plus pauvres de la population mondiale, et que les émissions par habitant des pays les plus riches sont très supérieures à celle des pays les plus pauvres »7.

VOTER EN TOUTE CONSCIENCE

11. Pour ce qui est de l’élection, nos messages précédents servent encore de référence (mai et novembre 2023)8. L’expression des choix du peuple au suffrage est à la base de la souveraineté nationale. L’équité de tous devant la loi garantit une élection qui institue un Etat digne de confiance. Soyez, vous aussi les candidats, dignes de confiance en restant fidèles à vos promesses ; connaissant les priorités pour le peuple, comme nous l’avons déjà énoncé9. Apprenez à vivre une concurrence franche et respectueuse, sans se considérer comme ennemis ; et que les électeurs soient prudents pour ne pas tomber dans les divers pièges, comme les dons provenant des candidats. Les citoyens ont besoin de qui va les protéger. Le peuple va voter librement, sans aucune contrainte. C’est bien l’occasion d’exprimer la sagesse du discernement et de la prévision. Espérons que l’élection, avec les résultats, se déroule dans une atmosphère de respect mutuel et dans l’harmonie.

CONCLUSION

12. L’éducation et la formation étant la référence, doivent toujours être renforcées depuis la famille jusqu’à l’exercice des responsabilités. Nous ne cessons d’attirer nos intentions pour voir de près l’éducation et l’enseignement. Est-ce que le programme, le système, les personnels et les infrastructures répondent bien à nos besoins ?

13. Pour conclure, nous ne saurions ne pas remercier et encourager les hommes et femmes de bonne volonté qui sont fidèles à leur engagement malgré les sacrifices qu’ils doivent endurer. Nous prions pour chaque famille, notre patrie et le monde, avides de paix et de miséricorde. Que la célébration de l’effusion de l’Esprit Saint aux Apôtres le jour de la Pentecôte nous fortifie toujours et nous donne la bénédiction divine, par l’intercession de la Vierge Marie Reine de Madagascar, de Saint Joseph, des Saints et Bienheureux de Madagascar.

Fait à Antananarivo, le 09 mai 2024 

Solennité de l’Ascension du Seigneur

Son Exc. Mgr Marie Fabien RAHARILAMBONIAINA, Évêque de Morondava

Président de la Conférence Épiscopale de Madagascar

Son Exc. Mgr Filgence RABEMAHAFALY, Archevêque de Fianarantsoa, Vice-Président

Son Exc. Mgr Gabriel RANDRIANANTENAINA, Évêque de Tsiroanomandidy, Secrétaire Général

Son Éminence le Cardinal Désiré TSARAHAZANA, Archevêque de Toamasina,

Son Exc. Mgr Benjamin Marc RAMAROSON, Archevêque d’Antsiranana,

Son Exc. Mgr Jean de Dieu RAOELISON, Archevêque d’Antananarivo

Son Exc. Mgr Gustavo Bombin ESPINO, Archevêque de Tuléar

Son Exc. Mgr Francis Donatien RANDRIAMALALA, Évêque d’Ambanja

Son Exc. Mgr Georges Varkey PUTHIYAKULANGARA, Évêque de Port-Bergé

Son Exc. Mgr Mgr Zygmunt ROBASZKIEWICZ, Évêque de Mahajanga

Son Exc. Mgr Marcellin RANDRIAMAMONJY, Évêque de Fénérive-Est

Son Exc. Mgr Rosario VELLA, Évêque de Moramanga

Son Exc. Mgr Clément Herizo RAKOTOASIMBOLA, Évêque nommé à Maintirano,

Son Exc. Mgr Jean Claude RAKOTOARISOA, Évêque de Miarinarivo,

Son Exc. Mgr Jean Pascal ANDRIANTSOAVINA, Évêque d’Antsirabe

Son Exc. Mgr Fidelis RAKOTONARIVO, Évêque d’Ambositra

Son Exc. Mgr José Alfredo CAIRES DE NOBREGA, Évêque de Mananjary,

Son Exc. Mgr Fulgence RAZAKARIVONY, Évêque d’Ihosy

Son Exc. Mgr Gaetano DI PIERRO, Évêque de Farafangana

Son Exc. Mgr Jean Désiré RAZAFINIRINA, Évêque de Morombe

Son Exc. Mgr Luc Olivier RAZAFITSIMIALONA, Évêque de Tolagnaro

Son Exc. Mgr Nicolas RAKOTOJAONA, Évêque Auxiliaire de Morondava

Rév. Père Jean Noël SATA, Administrateur diocésain d’Ambatondrazaka

Son Exc. Mgr Raymond RAZAKARIVONY, Évêque Émérite de Miarinarivo

Son Exc. Mgr Michel MALO, Évêque Émérite d’Antsiranana

Son Exc. Mgr Armand TOASY, Évêque Émérite de Port-Bergé

Son Exc. Mgr Odon Marie Arsène RAZANAKOLONA, Archevêque Émérite d’Antananarivo

Son Exc. Mgr Fulgence RABEONY, Archevêque Émérite de Toliary

Son Exc. Mgr Vincent RAKOTOZAFY, Évêque Émérite de Tolagnaro

__________________________


1 Catéchisme de l’Eglise catholique (CEC), 1324 ; Lumen gentium, 11. 

2 Voir aussi JUSTICE ET PAIX, Jésus est notre « Fihavanana », I,1-7

3 JUSTICE ET PAIX, Jésus est notre « Fihavanana », I.6 

4 Cf. Gaudium et Spes, n°27 ; Catéchisme de l’Église Catholique, n°2297-2298, Dignitatis Infinita, 18-20.34 ; Déclaration de droit de l’homme, Art. 5 ; Loi Malagasy décret 2008-08 du 25 Juin 2008 

5 Laudate Deum, 73. 

6 CEC, 2270. 

7 Laudate Deum, 9. 

8 CEM, « Que devrions-nous faire ? » (Lc 3,10), 18 mai 2023 ; « Je m’efforce d’avoir constamment une conscience sans reproche devant Dieu et devant les hommes » (Actes 24,16), 9 novembre 2023

9 Cf. n° 7 de ce présent message