Qui s’élèvera sera abaissé, qui s’abaissera sera élevé. (Mt 23, 12)
Vendredi 29 mars 2024

Eglise catholique à Madagascar

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Document préparatoire - I. L'appel à marcher ensemble


4. Le chemin synodal se déroule au sein d'un contexte historique marqué par des changements majeurs dans la société et par une étape cruciale dans la vie de l'Église, qu'il n'est pas possible d'ignorer : c'est dans les replis de la complexité de ce contexte, dans ses tensions mêmes et ses contradictions, que nous sommes appelés à  « scruter les signes des temps et les interpréter à la lumière de l'Évangile » (GS, n° 4). Nous esquissons ici quelques éléments-clés du paysage global qui sont plus étroitement liés au thème du Synode, mais cette description devra être sera enrichie et complétée au niveau local en fonction de chaque contexte propre.

5. Une tragédie globale comme la pandémie de Covid-19, « a réveillé un moment la conscience que nous constituons une communauté mondiale qui navigue dans le même bateau, où le mal de l'un porte préjudice à tout le monde. Nous nous sommes rappelés que personne ne se sauve tout seul, qu'il n'est possible que de se sauver ensemble » (FT, n° 32). En même temps, la pandémie a fait exploser les inégalités et les injustices déjà existantes : l'humanité apparaît toujours plus secouée par des processus de massification et de fragmentation ; la condition tragique que vivent les migrants dans toutes les régions du monde témoigne de la hauteur et de la solidité des barrières qui divisent encore l'unique famille humaine. Les Encycliques Laudato si' et Fratelli Tutti explicitent la profondeur des fractures qui parcourent l'humanité, et nous pouvons nous référer à ces analyses pour nous mettre à l'écoute de la clameur des pauvres et de la clameur de la terre et reconnaître les semences d'espérance et d'avenir que l'Esprit continue à faire germer à notre époque : « Le Créateur ne nous abandonne pas, jamais il ne fait marche arrière dans son projet d'amour, il ne repent pas de nous avoir créés. L'humanité possède encore la capacité de collaborer pour construire notre maison commune » (LS, n° 13).

6. Cette situation, qui, malgré de grandes différences selon les lieux, concerne de fait la famille humaine tout entière, est un défi pour l'Église dans sa capacité d'accompagner les personnes et les communautés à relire des expériences de lutte et de souffrance. Expériences qui ont permis de démasquer de nombreuses fausses sécurités et de cultiver l'espérance et la foi en la bonté du Créateur et de sa création. Nous ne pouvons toutefois pas nous cacher que l'Église elle-même doit affronter le manque de foi et la corruption jusqu'en son sein-même. En particulier, nous ne pouvons pas oublier la souffrance vécue par des personnes mineures et des adultes vulnérables « à cause d'abus sexuels, d'abus de pouvoir et de conscience commis par un nombre important de clercs et de personnes consacrées ». Nous sommes continuellement interpellés « en tant que Peuple de Dieu d'assumer la douleur de nos frères blessés dans leur chair et dans leur esprit » : pendant trop longtemps, l'Église n'a pas su suffisamment écouter le cri des victimes. Il s'agit de blessures profondes, difficiles à guérir, et pour lesquelles nous ne demanderons jamais assez pardon ; et qui constituent des obstacles, parfois imposants,  à procéder dans la ligne du " cheminer ensemble ". L'Église tout entière est appelée à reconnaître le poids d'une culture imprégnée de cléricalisme, héritage de son histoire, et avec pour conséquences des formes d'exercice de l'autorité sur lesquelles se greffent différents types d'abus (de pouvoir, économiques, de conscience, sexuels). « Une conversion de l'agir ecclésial sans la participation active de toutes les composantes du Peuple de Dieu »  est impensable : demandons ensemble au Seigneur « la grâce de la conversion et l'onction intérieure pour pouvoir exprimer, devant ces crimes d'abus, notre compassion et notre décision de lutter avec courage ».

7. En dépit de nos infidélités, l'Esprit continue à agir dans l'histoire et à manifester sa puissance vivifiante. C'est précisément dans les sillons creusés par les souffrances en tout genre endurées par la famille humaine et par le Peuple de Dieu que de nouveaux langages de la foi sont en train de germer, ainsi que de nouveaux parcours capables non seulement d'interpréter les événements d'un point de vue théologal, mais de trouver dans l'épreuve les raisons pour refonder le chemin de la vie chrétienne et ecclésiale. Le fait que de nombreuses Églises aient déjà entrepris des rencontres et lancé des processus plus ou moins structurés de consultation du Peuple de Dieu constitue un motif de grande espérance. Là où ceux-ci ont été organisés dans un style synodal, le sens de l'Église a refleuri et la participation de tous a donné un nouvel élan à la vie ecclésiale. Le désir des jeunes d'agir à l'intérieur de l'Église et la demande d'une plus grande valorisation des femmes trouvent également une confirmation, ainsi que leur requête d'espace de participation à la mission de l'Église, déjà signalés par les Assemblées synodales de 2018 et de 2019. C'est également dans cette perspective que s'inscrit la récente institution du ministère laïc de catéchiste et l'ouverture aux femmes de l'accès aux ministères institués du lectorat et de l'acolytat.

8. Nous ne pouvons pas ignorer la diversité des conditions dans lesquelles vivent les communautés chrétiennes dans les diverses régions du monde. À côté de pays où l'Église accueille la majorité de la population et représente une référence culturelle pour la société tout entière, il en existe d'autres où les catholiques ne représentent qu'une minorité ; dans certains d'entre eux, les catholiques, avec les autres chrétiens, endurent des persécutions parfois très violentes, et bien souvent le martyre. Si, d'une part, une mentalité sécularisée domine et tend à expulser la religion de l'espace public, de l'autre, un intégrisme religieux qui ne respecte pas la liberté d'autrui alimente des formes d'intolérance et de violence qui se reflètent aussi dans la communauté chrétienne et dans ses rapports avec la société. Il n'est pas rare de voir les chrétiens adopter les mêmes attitudes, fomentant aussi les divisions et les oppositions jusque dans l'Église. Il faut aussi tenir compte de la façon dont se reflètent au sein de la communauté chrétienne et dans ses rapports avec la société les fractures qui parcourent cette dernière, pour des raisons ethniques, raciales, de caste ou à travers d'autres formes de stratification sociale ou de violence culturelle et structurelle. Ces situations impactent profondément la signification de l'expression " marcher ensemble " et les possibilités concrètes de le réaliser.

9. Dans ce contexte, la synodalité constitue la voie royale pour l'Église, appelée à se renouveler sous l'action de l'Esprit et grâce à l'écoute de la Parole. La capacité d'imaginer un futur différent pour l'Église et pour ses institutions, à la hauteur de la mission qu'elle a reçue, dépend pour une large part du choix d'entreprendre des processus d'écoute, de dialogue et de discernement communautaire, auxquels tous et chacun peuvent participer et contribuer. En même temps, le choix de " marcher ensemble " est un signe prophétique pour une famille humaine qui a besoin d'un projet commun, en mesure de rechercher le bien de tous. Une Église capable de communion et de fraternité, de participation et de solidarité, dans la fidélité à ce qu'elle annonce, pourra se placer aux côtés des pauvres et des plus petits et leur prêter sa voix. Pour " marcher ensemble ", il est nécessaire que nous laissions l'Esprit forger en nous une mentalité vraiment synodale, en entrant avec courage et avec une liberté de coeur dans un processus de conversion sans lequel cette « réforme continue dont elle [l'Église] a toujours besoin en tant qu'institution humaine et terrestre » (UR, n° 6 ; cf. EG, n° 26) ne sera pas possible.